Les données de géolocalisation des agents de police genevoise : pas de conservation au-delà de 24 heures
Arrêt ATA/422/2024 de la Cour de Justice du canton de Genève du 25 mars 2024
La Cour de Justice du canton de Genève a examiné la légalité de la conservation de données issues d’un logiciel de géolocalisation utilisé lors de missions d’agents de police durant 100 jours au regard du droit de la protection des données fédéral et cantonal ainsi que des normes de protection des travailleurs.
En 2022, le système de géolocalisation des agents de police en mission CARLOC est remplacé par MOBILE RESPONDER. Le dernier système installé conserve les données de géolocalisation des téléphones et tablettes des véhicules de police pendant 100 jours (contre 122 jours pour l’application CARLOC). Les données enregistrées comprennent entre autres les identifiants de connexion, les dates et heures de l’activation, respectivement la désactivation du système et les données de localisation des agents.
Deux syndicats de police et leurs représentants entrent en discussion avec le Département des institutions et du numériques concernant l’utilisation de l’application MOBILE RESPONDER. Une Directive est établie par le Département, spécifiant notamment que la collecte et la conservation des données de géolocalisation est conduite pour assurer la gestion du dispositif opérationnel et assister le personnel de police dans ses missions. Les données ne sont, pour le surplus, pas utilisées dans un but de surveillance.
Les syndicats de police contestent cette Directive en avançant que celle-ci porte atteinte au droit à la vie privée et à la protection des données des policiers. Une demande formelle est adressée au Département pour qu’il soit procédé à des modifications de la Directive en ce sens. Face au refus de ce dernier, les syndicats requièrent la consultation du Préposé cantonal à la protection des données et à la transparence (PPDT). Le PPDT recommande au Département de modifier la Directive afin d’assurer notamment un effacement des données collectées après 24 heures.
Le Département, même s’il reprend partiellement des recommandations du PPDT, se refuse à réduire la durée de conservation des données à 24 heures et de suspendre le déploiement de l’application. La Directive est pour le surplus modifiée pour préciser que les données de géolocalisation pourraient être utilisées afin de « fournir les moyens de preuves utiles dans le cadre d’une procédure pénale » (objectif n°5).
Les représentants des forces de police persistent dans leurs conclusions et déposent un recours contre la décision de refus du Département devant la Chambre administrative de la Cour de Justice afin d’obtenir l’annulation de cette dernière et la mise en place de mesures plus strictes de protection des données.
Après avoir confirmé que les associations de représentants d’agents de police ont la qualité pour agir, la Chambre administrative plonge au cœur du sujet, à savoir la durée de conservation des données de géolocalisation à la lumière de la Loi sur l’information du public, l’accès aux documents et la protection des données personnelles (LIPAD/GE) et des droits fondamentaux.
La Chambre engage son raisonnement par une mention intéressante des droits du travailleur à sa sphère privée, y compris sur son lieu de travail à travers la loi fédéral sur le travail (LTr), des ordonnances y afférentes (art. 26 de l’ordonnance 3 relative à la LTr (protection de la santé) du 18 août 1993 ; OLT 3) et de sa transposition dans le droit cantonal par la loi générale relative au personnel de l’administration cantonale, du pouvoir judiciaire et des établissements publics (art. 2B al. 1 LPAC/GE) et du Règlement relatif à la protection de la personnalité à l’Etat de Genève (art. 1 al. 2 RPPers/GE). La prise en compte de normes de protection des travailleurs souligne la volonté de la Chambre de rattacher la procédure à la thématique de surveillance des employés à laquelle nous reviendrons.
La Chambre examine ensuite l’articulation de l’examen de restrictions des droits fondamentaux (art. 36 Cst.) avec les réglementations de protection des données et de l’activité des agents de police.
La Cour estime d’abord que l’atteinte à la personnalité des agents de police est limitée au regard de l’art. 8 CEDH, car il n’est pas systématiquement fait recours à l’application dont l’utilisation est prévue pour des situations spécifiques. La Cour examine ensuite l’analyse de la condition de la base légale formelle. En premier lieu, la LIPAD prévoit l’anonymisation des données dès que celles-ci ne sont plus nécessaires à l’Autorité (art. 40 al. 1 LIPAD/GE ; art. 41 let. a LIPAD/GE). En second lieu, l’objectif n°5 susmentionné ne fait pas partie des normes législatives réglementant l’activité policière (cf. art. 1 et 31 LPol/GE). En permettant une durée de conservation des données non anonymisées de 100 jours – dont la Cour relève qu’il s’agit d’une approximation du délai pour déposer une plainte pénale – le Département met l’accent sur cette finalité sans justifier d’une autre manière le besoin de conserver les données pour plus de 24 heures. La Chambre estime que la mesure n’est pas nécessaire dès lors que la localisation des forces de l’ordre en mission peut être déterminée par d’autres moyens que par les données relevées par le logiciel de géolocalisation. La Chambre, sans mentionner l’alternative concrète à la localisation d’agents de police en mission, semble également se désintéresser de la position particulière des policiers dans son analyse, alors même que ceux-ci sont garants de la sécurité et de l’ordre public et peuvent faire usage de la force à ces fins.
Pour ces raisons, la Cour admet le recours et demande au Département de supprimer l’objectif n°5 et de remplacer le délai de 100 jours par une suppression automatique des données après 24 heures, conformément à la recommandation initiale du PPDT.
La problématique de la surveillance des employés n’est abordée qu’en filigrane par la Cour avec la mention relevée de la législation tirée du droit privé (art. 26 OLT 3). En présence de législation relative à l’activité des fonctionnaires comme par la LPol/GE, la problématique de surveillance des employés semble pouvoir être reléguée au second plan dans le raisonnement juridique du tribunal. Les normes détaillées concrétisant le travail de l’administration permettraient, dans leur application, une protection plus forte des agents de police contre leur surveillance.
Dans l’ATF 130 II 425, le Tribunal fédéral examine la condition de proportionnalité prévue par l’art. 26 al. 2 OLT 3 dans le cas d’une surveillance GPS apposée aux voitures de fonction de techniciens réparateurs. En l’absence d’autres normes protectrices, il semblerait possible qu’une surveillance dite « médiate »,puisse être déclarée proportionnelle, dès lors qu’elle ne porte pas sur les collaborateurs eux-mêmes, mais sur leur voiture et qui tende à n’appréhender que les déplacements du travailleur.
Reste à savoir comment le Tribunal fédéral aborderait cette question aujourd’hui, à l’aune des développements conséquents en droit de la protection des données depuis cet arrêt. Il est à espérer que, dans un tel cas, le Tribunal fédéral prêterait une attention particulière à la position spécifique des agents de police – pouvant user de moyens de contraintes sur des particuliers – lors de la mise en balance des intérêts publics et privés prédominants.
Proposition de citation : Mallorie Ashton-Lomax, Les données de géolocalisation des agents de police genevoise : pas de conservation au-delà de 24 heures, 25 juin 2024 in www.swissprivacy.law/307
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