Déchets et automatisation : un tri difficile

Jugement du Tribunal administratif de Brême, 2 K 763/23, du 14 juillet 2025
Faits
En janvier 2022, un administré de la région allemande de Brême reçoit une décision relative à fixation des frais de collecte des déchets pour l’année. Cette décision, basée sur les caractéristiques de l’habitation de l’administré et de l’occupation de son ménage, fixe l’émolument à EUR 176.82.
L’administré s’oppose alors à cette décision en février au motif qu’elle avait été prise de manière automatisée en violation de l’art. 22 RGPD. Cette décision devrait par conséquent être considérée comme nulle. Pour lui, il s’agit d’un traitement entièrement automatisé et illicite de ses données personnelles produisant des effets juridiques.
Près d’une année plus tard, la Sénatrice chargée de la protection du climat, de l’environnement, de la mobilité, du développement urbain et du logement (« Senatorin für Klimaschutz, Umwelt, Mobilität, Stadtentwicklung und Wohnungsbau ») rejette l’opposition du requérant au motif qu’elle serait non fondée. Pour elle, le simple calcul informatisé des frais n’est pas une décision automatisée au sens de l’art. 22 RGPD. Pour le surplus, la Sénatrice estime qu’une éventuelle violation est, dans tous les cas, corrigée par la décision sur opposition.
En avril 2025, l’administré forme un recours contre la décision sur opposition. Pour lui, ses données personnelles ont été soumises de manière illicite à un traitement automatisé conduisant à une décision. Cette dernière produit des effets juridiques contraignants et directs sur sa situation personnelle pouvant conduire à une procédure d’exécution forcée à son encontre.
Le 14 juillet 2025, le Tribunal administratif de Brême (« Verwaltungsgericht ») rend son jugement.
Droit
Dans un premier temps, le Tribunal donne raison sur le fond à l’administré. En effet, il estime que la décision initiale est une décision fixée exclusivement sur un traitement automatisé au sens de l’art. 22, par. 1 RGPD.
À teneur de l’art. 22 par. 1 RGPD,
« La personne concernée a le droit de ne pas faire l’objet d’une décision fondée exclusivement sur un traitement automatisé, y compris le profilage, produisant des effets juridiques la concernant ou l’affectant de manière significative de façon similaire. »
Le Tribunal explique que cet article vise à protéger la personne concernée contre les décisions qui lui sont défavorables et qui sont fondées exclusivement sur un traitement automatisé. Une telle décision existe dès lors que des données traitées automatiquement aboutissent, à l’aide d’un ordinateur, à un résultat qui ne peut être attribué à un être humain.
Ainsi, les conditions d’application de l’art. 22 par. 1 RGPD sont remplies. Le fait que la collecte préalable des données l’ait été par des fonctionnaires, que le processus ait été initié par eux ou qu’un contrôle aléatoire soit réalisé n’y change rien. Selon le jugement, il est d’ailleurs pratiquement impossible que la décision en cause ait été ainsi contrôlée, dès lors qu’aucun procès-verbal n’existe.
De surcroît, il n’existe aucune disposition légale en droit allemand ou du Land de Brême autorisant un traitement exclusivement automatisé comme le permet l’art. 22 par. 2 let. b RGPD.
En revanche, le Tribunal de Brême estime que, quand bien même un traitement automatisé a été illicitement réalisé, cette violation a été « guérie » par la décision sur opposition de la Sénatrice.
En effet, le Tribunal allemand explique que la première décision de taxation sur les frais de collecte des déchets et la décision sur opposition forment une unité procédurale au sens du droit administratif. En d’autres termes, la première décision d’avis des frais, initialement illicite, doit d’abord faire l’objet d’une opposition dans son intégralité. La Sénatrice a ensuite le même pouvoir de cognition pour la revoir et statue à nouveau sur la question. Ce n’est qu’au moment où la décision sur opposition est rendue, que l’on doit se demander si elle a été rendue dans le cadre d’une procédure entièrement automatisée.
Selon ce jugement, « il n’existe aucune objection au regard du droit de l’Union quant à la possibilité procédurale de remédier au vice formel dans le cadre de la procédure de recours » (traduction libre du considérant 2.b).
Le Tribunal administratif de Brême conclut donc qu’il n’y a pas eu de violation de l’art. 22 RGPD, tout vice ayant été réparé lors de la procédure d’opposition.
Appréciation
La conclusion à laquelle le Tribunal allemand arrive est concevable mais n’en reste pas moins discutable. En effet, l’art. 22 RGPD est clair : une personne concernée a le droit de ne pas faire l’objet d’une décision fondée exclusivement automatisée. Ce droit, comme n’importe lequel, subit également des restrictions qui sont listées au paragraphe 2. Il existe par conséquent un droit qui doit être respecté par toutes personnes traitant des données personnelles.
Ici, le raisonnement du Tribunal crée un véritable renversement de paradigme. Le droit de ne pas faire l’objet d’une décision individuelle fondée exclusivement sur un traitement automatisé, conçu comme une garantie de principe, se trouve requalifiée en un droit subjectif. Si l’on suit ce raisonnement, sa mise en œuvre dépendrait de la remise en cause de la décision par la personne concernée et non d’une simple demande d’intervention humaine. Ce renversement affaiblit considérablement la portée de la norme. La protection, censée être préventive, devient conditionnée à une démarche proactive.
La violation de l’art. 22 RGPD n’est pas, comme le retient le jugement, un simple « vice formel ». Cet article a pour but de garder un contrôle sur les décisions qui ont un impact juridique sur les personnes concernées.
Et en Suisse ?
Il existe également une disposition spécifique traitant de la question des décisions individuelles automatisées, soit l’art. 21 LPD. Contrairement au RGPD, il n’est pas prévu d’interdiction formelle, mais d’un devoir d’informer lorsque de telles décisions sont prises.
L’art. 22 al. 2 LPD prévoit que
« Si la personne concernée le demande, le responsable du traitement lui donne la possibilité de faire valoir son point de vue. La personne concernée peut exiger que la décision individuelle automatisée soit revue par une personne physique. »
Ainsi, comme pour le reste des dispositions de la LPD, celle-ci ne prévoit pas de régime général d’interdiction ou d’obligation de faire reposer tout traitement sur des bases légales ou autre comme le RGPD, mais prévoit une réelle obligation de transparence et d’information aux personnes concernées.
Il n’en reste pas moins que la personne concernée doit pouvoir effectivement faire valoir son point de vue et exiger une intervention humaine.
Pour conclure, il est en effet louable de retenir qu’il existe des mécanismes permettant de guérir des violations de la protection des données. Cependant, la responsabilité de respecter ces normes doit incomber au responsable du traitement et non à la personne concernée, au risque d’affaiblir les droits des personnes, voire de les mettre à la poubelle.
Proposition de citation : David Dias Matos, Déchets et automatisation : un tri difficile, 29 octobre 2025 in www.swissprivacy.law/379
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