Transparence des procès-verbaux de la Caisse de pension de l’État de Genève ou secret de fonction ?
Arrêt du Tribunal fédéral 1C_336/2021 du 3 mars 2022*
Le 19 mai 2019, la réforme de la Caisse de pension de l’État de Genève (CPEG) est acceptée à une courte majorité du peuple lors d’une votation. En fin d’année, le comité de cette institution prend une décision engendrant des coûts supplémentaires pour le canton de Genève chiffrés à deux milliards de francs. Deux partis politiques genevois la critiquent en mai 2020 dans un communiqué de presse.
À la suite de ce communiqué, le recourant, journaliste, requiert l’accès au procès-verbal de la séance en question du comité de la CPEG. Néanmoins, ni sa requête fondée sur la Loi genevoise sur l’information du public et l’accès aux documents (LIPAD-GE) ni la médiation qu’il requière ensuite devant le Préposé cantonal à la protection des données et à la transparence du canton de Genève n’aboutissent.
Saisie d’un recours, la Chambre administrative de la Cour de justice du canton de Genève confirme le refus de la CPEG par arrêt du 20 avril 2021 qui est attaqué par le recourant devant le Tribunal fédéral.
Dans un premier temps, les juges fédéraux constatent que la CEPG ne conteste plus être soumise à la LIPAD-GE en tant qu’établissement de droit public, contrairement à ce qu’elle avait soutenu tant devant le Préposé cantonal que la Cour de justice.
Le Tribunal fédéral expose ensuite le droit cantonal pertinent en l’espèce. Premièrement, la Constitution genevoise prévoit que « l’activité publique s’exerce de manière transparente […] dans le respect du droit fédéral […] » (art. 9 al. 3 Cst.-GE) et que « toute personne a le droit de prendre connaissance des informations et d’accéder aux documents officiels, à moins qu’un intérêt prépondérant ne s’y oppose » (art. 28 al. 2 Cst.-GE). Deuxièmement, la LIPAD-GE, équivalant cantonal de la Loi sur la transparence (LTrans) a introduit un changement de paradigme au sein de l’administration publique en mettant un terme au régime du secret pour passer au principe de la transparence sous réserve de dérogation. À l’appui des travaux préparatoires, l’importance du droit d’accès est ainsi mise en lumière :
« l’instauration d’un droit individuel d’accès aux documents représente l’innovation majeure propre à conférer sa pleine dimension au changement de culture qu’implique l’abandon du principe du secret ».
Cela étant, « l’application de la LIPAD-GE n’est pas inconditionnelle » selon le Tribunal fédéral, car un « intérêt public ou privé prépondérant » peut avoir pour effet de soustraire des documents au principe de la transparence (art. 26 al. 1 LIPAD-GE). Il en va de même s’agissant des documents pour lesquels « le droit fédéral ou une loi cantonale fait obstacle » (art. 26 al. 4 LIPAD-GE). En raison de son « utile valeur didactique » aux yeux du législateur genevois, le droit fédéral a fait l’objet d’une référence expresse, indépendamment de sa primauté sur le droit cantonal.
En l’espèce, la CEPG soutient l’existence d’une exception ressortissant au droit fédéral, en considérant que les membres de son comité sont soumis à l’« obligation de garder le secret » de l’art. 86 Loi sur la prévoyance professionnelle (LPP) disposant que « les personnes qui participent à l’application de la présente loi, ainsi qu’au contrôle ou à la surveillance de son exécution, sont tenues de garder le secret à l’égard des tiers ».
Pour déterminer si l’art. 86 LPP est une exception de droit fédéral, le Tribunal fédéral rappelle que l’art. 6 LTrans consacre le droit d’accès, mais que l’art. 4 let. a LTrans réserve « les dispositions spéciales d’autres lois fédérales qui déclarent certaines informations secrètes ». Pour exemplifier la loi, le Conseil fédéral a certes fait référence aux « normes relatives au devoir de discrétion prévues dans la législation en matière d’assurances sociales » (FF 2003 1807, 1832 s.). Néanmoins, il a également précisé que l’entrée en vigueur de la LTrans a eu pour effet de restreindre la portée du secret professionnel, d’affaire et de fonction des employés fédéraux selon l’art. 22 Loi sur le personnel de la Confédération (LPers), car il est antérieur à la LTrans et constitue une « émanation du principe du secret » prévalant auparavant (FF 2003 1807, 1821). Ainsi, cette disposition légale ne « protège plus que les informations couvertes par le secret en application des exceptions au principe de transparence prévues aux art. 7 et 8 LTrans ». C’est d’ailleurs de cette façon que notre Haute Cour a également interprété l’art. 44 Loi sur le travail (LTr) qui exprime le secret de fonction général (TF 1C_129/2016 du 14.2.2017, c. 2.3.3).
Les juges fédéraux en viennent à examiner l’art. 86 LPP à l’aune des considérants qui précédent et constatent qu’il est antérieur à la LTrans, mais aussi, comme les art. 22 LPers et 44 LTr, formulé de manière large en codifiant le secret de fonction général. En accord avec la doctrine, sa portée est donc similaire aux dispositions précitées : l’obligation du secret se rapporte aux seules informations n’étant pas soumises au principe de la transparence parce qu’une exception des art. 7 ou 8 LTrans trouve à s’appliquer. Partant, les documents soumis au principe de la transparence n’y sont pas soustraits en raison de l’obligation de garder le secret de l’art. 86 LPP, à l’exception, en principe, des données personnelles relatives aux assurés (art. 7 al. 2 LTrans cum art. 86a al. 5 let. b LPP).
Le Tribunal fédéral conclut que l’art. 86 LPP n’est pas une « disposition spéciale » au sens de l’art. 4 let. a LTrans. Il s’ensuit que le droit fédéral ne fait pas obstacle à l’accès au procès-verbal requis par le recourant, d’autant plus qu’il « ne contient a priori pas de données personnelles en lien avec des assurés ». L’autorité inférieure a donc procédé à une application arbitraire de l’art. 26 al. 4 LIPAD-GE, si bien que le recours doit être admis. L’autorité inférieure devra déterminer si d’autres exceptions de la LIPAD-GE entrent en jeu, à défaut de quoi elle devra rendre accessible le document litigieux au recourant, au besoin en anonymisant les données personnelles qu’il contient dont la révélation porterait atteinte à la sphère privée.
La solution à laquelle parvient le Tribunal fédéral apparaît dans la droite ligne de sa jurisprudence, conforme à la volonté du législateur, et donc logique. Plus que le fond de l’affaire ou la question juridique à résoudre, il semble que c’est le contexte politique et le fait qu’il porte sur une caisse de pension publique qui en font un « arrêt de principe » destiné à publication (cf. art. 58 al. 1 RTF). Si l’arrêt est à saluer, soulignons néanmoins que l’appréciation des juges fédéraux selon laquelle « l’application de la LIPAD n’est pas inconditionnelle » est maladroite. En effet, il n’est pas question dans le présent arrêt de l’application de la LIPAD-GE, mais bien de la portée du droit d’accès garanti par l’art. 25 LIPAD-GE. Or ce droit est bel et bien inconditionnel, en ce sens qu’il n’est pas fonction d’un intérêt en particulier, ce qui ne signifie pas pour autant qu’il est absolu et ne peut pas être restreint.
Proposition de citation : Kastriot Lubishtani, Transparence des procès-verbaux de la Caisse de pension de l’État de Genève ou secret de fonction ?, 31 mars 2022 in www.swissprivacy.law/134
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