Le Conseil fédéral veut faire avancer le dossier électronique du patient
Communiqué du Conseil fédéral du 27 avril 2022, Le Conseil fédéral veut développer davantage le dossier électronique du patient.
Alors que la Loi fédérale sur le dossier électronique du patient (LDEP) est entrée en vigueur en 2017 et que la première ouverture concrète d’un dossier électronique du patient (DEP) est intervenue en décembre 2020, le DEP a régulièrement été discuté devant les Chambres fédérales (cf. swissprivacy.law/106/). Selon un avis largement partagé, les débuts du DEP sont quelque peu « poussifs » et le nombre de DEP ouverts reste faible à ce jour. Par ailleurs, des lacunes liées à la LDEP ont été identifiées, à l’image d’une répartition obscure des compétences entre la Confédération et les cantons ou des incertitudes liées au financement du DEP sur le long terme.
Après avoir chargé le DFI de mener un examen complet de la LDEP, le Conseil fédéral a annoncé le lancement d’une révision complète de celle-ci. La révision sera dictée par plusieurs points clés, brièvement présentés et commentés ci-dessous.
DEP comme instrument de l’assurance obligatoire de soins
Dans le cadre de la révision de la LDEP, le DEP devra être considéré comme un instrument de l’assurance obligatoire de soins (AOS) qui permettra d’atteindre les objectifs de cette dernière en matière d’amélioration de la qualité des traitements et du rapport coût-efficacité. Sous l’angle de compétences législatives, la Confédération pourra ainsi s’appuyer sur l’art. 117 Cst. pour légiférer de manière large dans le domaine.
Les traitements de données effectués par des organes publics cantonaux (en particulier les hôpitaux cantonaux) relèvent par exemple de la compétence législative des cantons et non de la Confédération. Lors de l’adoption de la LDEP, l’Assemblée fédérale s’était résolue à « arrondir » les angles en admettant que la LDEP pouvait régir les traitements de données effectués par le personnel d’hôpitaux publics cantonaux, même si la solution n’était pas parfaite sous l’angle juridique (Cassis, BO(CN) 2015, p. 437). En pratique, il subsiste toutefois de nombreuses incertitudes en matière de partage des compétences et celles-ci nuisent à la mise en œuvre du projet. Si la volonté du Conseil fédéral de donner plus largement les rennes à la Confédération doit être saluée, le placement du DEP dans le giron de l’AOS n’en reste pas moins curieux : le DEP n’a en effet jamais été considéré comme un instrument au service des assurances. Le Conseil fédéral a néanmoins tenu à préciser que les assureurs n’auraient pas accès au DEP.
Clarification du partage des tâches entre Confédération et cantons
La révision devra permettre de clarifier et d’améliorer le partage des tâches de mise en œuvre du DEP entre Confédération et cantons. Selon le Conseil fédéral, les cantons devront notamment assurer le financement et l’exploitation des communautés de référence. Il sera toutefois intéressant d’examiner comment seront traitées les communautés de référence qui ne sont pas directement liées aux cantons (à l’exemple de la communauté de référence Abilis SA créée sous l’impulsion de la coopérative des pharmaciens suisses) dans un projet où les cantons deviendront de lege responsables du financement et de l’exploitation des communautés de référence.
Caractère facultatif du DEP pour les patients et raccordement pour tous les professionnels de la santé dans le domaine ambulatoire
Aujourd’hui, l’ouverture du DEP est facultative pour les patients. Afin d’encourager l’adoption du DEP, le Conseil fédéral souhaite mettre en consultation deux variantes quant aux modalités d’ouverture du DEP. La première variante est le maintien du caractère facultatif du DEP pour les patients. Dans la seconde variante, l’ouverture du DEP deviendrait automatique pour les patients, mais ceux-ci garderaient néanmoins la possibilité de sortir du système (système d’opt-out).
L’idée initiale d’un caractère doublement facultatif (à la fois pour les fournisseurs de prestations et pour les patients) a été déjà remise en cause de manière importante du point de vue des fournisseurs de prestations. Lors de l’adoption de la LDEP, il avait été décidé que les établissements de soins stationnaires seraient dès le départ tenus d’offrir le DEP. Depuis le 1er janvier 2022, l’ensemble des médecins qui obtiennent leur admission à pratiquer à charge de l’AOS doivent désormais s’affilier à une communauté de référence (art. 37 al. 3 LAMal). Dans le cadre de son projet de révision, le Conseil fédéral étendra de surcroît l’obligation d’affiliation à l’ensemble des professionnels de la santé exerçant dans le domaine ambulatoire, y compris ceux qui ont obtenu leur autorisation de pratiquer à charge de l’AOS avant 2022.
Recherche
À ce jour, la question de savoir si les données enregistrées dans le DEP peuvent être (ré)utilisées à des fins de recherche n’est pas claire. Par le passé, le Conseil fédéral s’est prononcé de manière divergente à ce sujet (cf. swissprivacy.law/106/).
En vue de la révision de la LDEP, le Conseil fédéral a émis le souhait que les milieux de la recherche puissent avoir accès aux données des DEP à la condition que les patients y consentent. On peut se demander si le projet de révision contiendra des dispositions expresses pour la réutilisation des données à des fins de recherche ou si le projet se limitera à renvoyer aux règles de la LRH à ce sujet (art. 32–34 LRH), lesquelles prévoient à titre exceptionnel et à des conditions restrictives la possibilité de réutiliser des données de santé sans consentement (art. 34 LRH).
Données dynamiques
Dans son communiqué, le Conseil fédéral énonce l’objectif d’un stockage centralisé des données dynamiques qui permettra de simplifier le traitement de telles données. Sans autre forme de précision, cet énoncé reste assez sibyllin. Il est vrai qu’au nombre des critiques du DEP figure son caractère statique, en particulier lié à son aspect « stockage de PDF » (fichiers poussés des systèmes primaires des institutions vers le DEP). Le développement du caractère dynamique est évidemment à saluer, mais l’annonce d’un stockage centralisé et sa signification suscite des interrogations (par qui et comment ?).
Services supplémentaires
Le projet de révision de la LDEP devrait permettre de recourir aux infrastructures du DEP pour fournir des services additionnels, tels que le transfert de patients vers d’autres professionnels de la santé. À ce stade, il est encore difficile de déterminer la forme de ces services supplémentaires, mais il est possible que le Conseil fédéral tente de réagir face à certaines initiatives privées qui pourraient faire concurrence au DEP. On pense notamment au projet Compassana qui est actuellement initié par plusieurs cliniques et assurances réunies en consortium pour développer un « écosystème de santé assisté numériquement ».
Identité électronique
Enfin, le projet de révision doit clarifier l’utilisation d’une e‑ID pour accéder au DEP. En pratique, l’obtention d’un tel identifiant peut aujourd’hui se révéler compliquée et mettre à mal l’adoption du DEP. Dans le canton de Vaud par exemple, le patient qui souhaite ouvrir un DEP doit se rendre personnellement dans un des quatre centres du canton pour valider son identification. Or, une telle contrainte peut décourager plus d’un patient qui n’aurait pas un intérêt impérieux à ouvrir un DEP.
Proposition de citation : Frédéric Erard, Le Conseil fédéral veut faire avancer le dossier électronique du patient, 3 mai 2022 in www.swissprivacy.law/142
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