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Levée du secret médical : si l’avocat sait, le client doit aussi savoir

Frédéric Erard, le 23 février 2024
L’autorité de levée du secret profes­sion­nel peut, après avoir pesé les inté­rêts en présence, auto­ri­ser l’accès au dossier médi­cal d’une personne décé­dée pour évaluer l’existence de préten­tions en respon­sa­bi­lité civile contre l’hôpital. En revanche, l’autorité ne peut pas limi­ter la levée du secret unique­ment en faveur du conseil juri­dique d’un proche en lui inter­di­sant de commu­ni­quer le contenu du dossier médi­cal au proche.

Arrêt du TF 2C_​683/​2022 du 5 janvier 2024

La mère d’une patiente décé­dée en 2020 à l’hôpital canto­nal de Saint-Gall souhaite accé­der au dossier médi­cal de sa fille pour retra­cer ses dernières heures et évaluer l’existence d’une erreur médi­cale. L’autorité canto­nale compé­tente rejette la demande de plusieurs méde­cins visant à les délier du secret profes­sion­nel pour rensei­gner la mère. Sur recours, le Tribunal admi­nis­tra­tif de Saint-Gall admet le recours et prononce la levée du secret profes­sion­nel, mais unique­ment en faveur de l’avocat mandaté par la mère afin qu’il évalue l’existence de préten­tions en respon­sa­bi­lité civile. Il fait inter­dic­tion au conseil juri­dique de commu­ni­quer les infor­ma­tions du dossier médi­cal à sa cliente, afin d’éviter que les infor­ma­tions concer­nées n’échappent à la protec­tion légale du secret profes­sion­nel. La mère recourt au Tribunal fédé­ral pour obte­nir un accès direct au dossier médical.

Le Tribunal fédé­ral rappelle que le secret profes­sion­nel perdure après la mort du patient et qu’il s’applique aussi à l’encontre des héri­tiers et proches du défunt. Cette protec­tion doit garan­tir que le patient puisse, de son vivant, commu­ni­quer sans réserve des faits à son méde­cin sans craindre qu’ils ne soient divul­gués après sa mort. En vertu de l’art. 321 ch. 2 CP, l’autorité canto­nale compé­tente peut néan­moins délier un méde­cin du secret pour commu­ni­quer des infor­ma­tions couvertes par le secret aux proches d’une personne décé­dée. Elle doit dans ce cas procé­der à une pesée des inté­rêts et des biens juri­diques en présence et ne doit lever le secret qu’en présence d’intérêts privés ou publics prépon­dé­rants. Conformément à la juris­pru­dence déve­lop­pée par le Tribunal fédé­ral, la levée du secret doit se limi­ter à ce qui est néces­saire, tant du point de vue des desti­na­taires que de l’étendue de l’information.

De son côté, l’avocat est respon­sable de la bonne et fidèle exécu­tion mandat (art. 398 al. 2 CO) et est tenu par un devoir de loyauté à l’égard de son client, qui comprend une obli­ga­tion d’informer et de conseiller. L’avocat doit présen­ter à son client les diffé­rentes options envi­sa­geables, les démarches à entre­prendre, ainsi que les chances et risques liés à chacune d’elles. Il doit en outre, sur demande du mandant, rendre des comptes en tout temps sur la gestion du mandat (art. 400 al. 1 CO). Le client doit pour sa part être en mesure de donner des instruc­tions à l’avocat ou de révo­quer le mandat.

Constatant que l’autorité précé­dente a en l’espèce conclu au bien-fondé de la levée du secret pour l’examen des préten­tions en respon­sa­bi­lité civile, le Tribunal fédé­ral se limite à exami­ner si l’interdiction faite à l’avocat de commu­ni­quer les infor­ma­tions conte­nues dans le dossier médi­cal à sa cliente est contraire au droit fédé­ral. Selon son appré­cia­tion, une telle inter­dic­tion empêche l’avocat de remplir les obli­ga­tions qui lui sont impo­sées en vertu du rapport de mandat, notam­ment parce qu’elle empêche de placer la cliente dans une posi­tion qui lui permette de donner des instruc­tions supplé­men­taires ou de révo­quer le mandat. Par ailleurs, l’avocat ne peut guère remplir sa mission de manière fidèle et dili­gente sans être en mesure d’informer la recou­rante d’une manière ou d’une autre quant aux infor­ma­tions conte­nues dans le dossier médical.

Le Tribunal fédé­ral arrive par consé­quent à la conclu­sion que l’interdiction impo­sée à l’avocat de commu­ni­quer les infor­ma­tions conte­nues dans le dossier médi­cal à sa cliente est contraire aux obli­ga­tions décou­lant du contrat de mandat, et donc au droit fédé­ral. Le recours est admis et la déci­sion de l’autorité précé­dente annu­lée dans la mesure où elle inter­dit une commu­ni­ca­tion à la cliente.

Cet arrêt apporte une clari­fi­ca­tion impor­tante sur les moda­li­tés de levée du secret profes­sion­nel en cas d’accès au dossier médi­cal d’un patient décédé. Dans ces circons­tances, l’accès au dossier par des proches se révèle géné­ra­le­ment déli­cat pour deux raisons au moins.

Premièrement, la demande de levée du secret peut en prin­cipe seule­ment être deman­dée par le profes­sion­nel de la santé lui-même, ce qui peut conduire à des situa­tions de blocage ou encore limi­ter l’exercice des droits des proches dans de telles procé­dures (à ce propos : B. Chappuis, Les droits des tiers dans la procé­dure de levée du secret : L’ATF 142 II 256, Revue de l’avocat 2018). La juris­pru­dence a néan­moins reconnu la qualité pour recou­rir contre une déci­sion néga­tive de levée du secret à un proche dispo­sant d’un inté­rêt digne de protec­tion (ATF 142 II 256).

Deuxièmement, la loi est prati­que­ment muette sur l’accès aux données person­nelles qui concernent des personnes décé­dées. Dans le domaine médi­cal, quelques cantons ont adopté des dispo­si­tions légales sur l’accès aux dossiers médi­caux de patients décé­dés, à l’instar de l’art. 55A de la Loi sur la santé gene­voise. Dans le cadre de la révi­sion de la Loi fédé­rale sur la protec­tion des données, le Conseil fédé­ral avait inté­gré dans son projet une dispo­si­tion spéci­fique sur l’accès aux données person­nelles de personnes décé­dées, y compris celles couvertes par le secret profes­sion­nel. Les Chambres fédé­rales l’ont néan­moins pure­ment supprimé, sans grandes explications.

En l’absence de légis­la­tion spéci­fique, le Tribunal fédé­ral a peu à peu construit un droit d’accès en faveur des proches dans certaines circons­tances. En 1995, le Tribunal fédé­ral a par exemple déduit de l’art. 8 CEDH un droit des proches dispo­sant d’un inté­rêt digne de protec­tion vrai­sem­blable à se faire commu­ni­quer certaines infor­ma­tions du dossier médi­cal (SJ 1996 p. 293). Il a ainsi validé la pratique des « lectures accom­pa­gnées », par lesquelles un inter­mé­diaire médi­cal consulte le dossier et commu­nique certaines infor­ma­tions perti­nentes aux proches, à condi­tion que le patient ne s’y soit pas opposé de son vivant.

Depuis lors, le Tribunal fédé­ral s’est prononcé à plusieurs reprises sur l’accès au dossier d’une personne décé­dée, reje­tant par exemple la demande de levée du secret en faveur de deux filles mineures souhai­tant obte­nir un accès direct et complet au dossier médi­cal de leurs mère décé­dée pour mener leur proces­sus de deuil, sans qu’il y ait un lien avec une procé­dure civile ou pénale en cours (arrêt du TF 2C_​37/​2018 du 15 août 2018). Dans ce cas précis, l’instance précé­dente avait néan­moins accordé un droit d’accès modulé où le dossier médi­cal était rendu acces­sible aux méde­cins trai­tants ainsi qu’à des psycho­logues qui pouvaient alors en tenir compte pour aider les recou­rantes à faire leur deuil. L’étendue de l’accès était limi­tée à ce qui était néces­saire pour le succès du trai­te­ment des deux filles. La solu­tion avait alors été jugée comme équi­li­brée par le Tribunal fédé­ral, qui a cepen­dant précisé que l’accès complet au dossier par un soignant inter­mé­diaire ne devait pas deve­nir une pratique systé­ma­tique (pour un résumé des évolu­tions rela­tives à la commu­ni­ca­tion de données médi­cales rela­tives à des personnes décé­dées : F. Erard, Le secret médi­cal. Étude des obli­ga­tions de confi­den­tia­lité des soignants en droit suisse, Thèse, Zurich 2021, N 1376 ss).

Le nouvel arrêt du Tribunal fédé­ral commenté ici pour­rait-il remettre en cause ce type de pratiques ? Les méde­cins et avocats étant tous les deux tenus par les dispo­si­tions légales sur le mandat, on peut effec­ti­ve­ment se le deman­der. À y regar­der de plus près, l’argumentation du Tribunal fédé­ral est en grande partie axée sur la néces­sité de placer la cliente de l’avocat dans une posi­tion qui lui permette de donner des instruc­tions au manda­taire. Or, dans le contexte d’une rela­tion de soins, le pouvoir d’instruction du patient ne semble pas direc­te­ment dépendre de la prise de connais­sance d’informations médi­cales rela­tives à un proche décédé, ou alors dans une mesure bien moins impor­tante. Une diffé­rence de trai­te­ment entre clients d’avocats et patients paraît ainsi justi­fiable, de telle sorte que les accès modu­lés par l’intermédiaire d’un soignant, comme un psycho­logue, devraient pouvoir subsister.



Proposition de citation : Frédéric Erard, Levée du secret médical : si l’avocat sait, le client doit aussi savoir, 23 février 2024 in www.swissprivacy.law/284


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