Du principe de l’émolument à celui de la gratuité ? Frein du Conseil des États
Le 1er décembre 2020, nous vous informions du projet de la Commission des institutions politiques du Conseil national (CIP‑N) modifiant la LTrans à la suite à d’une initiative parlementaire déposée par la Conseillère nationale thurgovienne Edith Graf-Litscher.
À l’heure actuelle, la LTrans soumet en principe le droit d’accès à un document officiel au paiement d’un émolument (art. 17 al. 1), tout en prévoyant des exceptions. Le projet de modification de la LTrans de la majorité de la CIP‑N a pour but de renverser ce principe, en instaurant une gratuité de principe pour l’accès à un document officiel, sans pour autant la rendre absolue. Dans le cas où la demande d’accès nécessiterait un surcroît important de travail, un émolument pourrait être demandé, mais il serait plafonné à CHF 2’000.–, alors qu’il est pour l’instant réglementé par voie d’ordonnance et tributaire, notamment, des heures consacrées à l’examen et à la préparation des documents officiels à raison de CHF 100.– par heure (Annexe 1 OTrans).
Ce changement de paradigme souhaité par la majorité de la CIP‑N se fonde essentiellement sur les critiques développées par la doctrine tout en se référant à des exemples dans lesquels les administrés ont dû s’acquitter d’émoluments avoisinant ou dépassant la dizaine de milliers de francs. À ce sujet, la doctrine relève que des règles prohibitives en matière d’émoluments dans l’administration peuvent saper l’exercice des droits. Elle met également en exergue l’opacité des critères qui permet à une autorité de renoncer à percevoir un émolument ou réduire ce dernier. Finalement, elle constate que les autorités font preuve de retenue lorsqu’il s’agit de percevoir des émoluments dans le cadre d’une demande de transparence.
Comme le relate la Commission des institutions dans son rapport, le prélèvement d’un émolument constitue l’exception, la gratuité ayant été accordée dans 97,4 % des cas selon le 26e rapport d’activités 2018/2019 du PFPDT. En 2018, le total des émoluments perçus pour l’accès à des documents s’est élevé à CHF 13’358. Dernier en date, le 28e rapport d’activités 2020/2021 du PFPDT fait pour sa part état d’un pourcentage analogue (97,9%) et ce malgré une forte augmentation des demandes (636 pour l’année 2018 contre 1’198 pour l’année 2020). Le montant des émoluments perçus pour l’accès à des documents a légèrement augmenté et s’est élevé à CHF 15’189.
Le projet de la CIP‑N a été traité par son Conseil durant la session de printemps 2021. À cette occasion, le Conseil national a suivi la majorité de la CIP‑N sans que cela n’entraîne un débat à couteaux tirés et a ainsi approuvé le principe de la gratuité de l’accès à un document officiel, en limitant l’émolument possible à CHF 2’000.–.
À la suite de la décision du Conseil national, le projet a été traité par la Commission sœur du Conseil des États (CIP‑E). Par 21 voix contre et 16 pour, le Conseil des États a suivi la majorité de sa commission qui a recommandé de ne pas entrer en matière. Deux arguments ont été soulevés par la CIP‑E (BO 2021 E 587 s) : le premier concerne les statistiques susmentionnées, lesquelles démontrent qu’un changement de paradigme n’est pas souhaitable au vu de la retenue dont fait preuve les autorités dans la mise en œuvre du principe de la transparence. Quant au second argument, il concerne la crainte qu’un changement en matière de transparence conduise à une augmentation des demandes.
Le choix pour le Conseil des États de ne pas entrer en matière est étonnant à plusieurs égards. Tout d’abord, la CIP‑E avait accepté de donner suite à cette initiative parlementaire par 17 voix contre et 4 pour (BO 2021 E 588). Si les statistiques montrent que la gratuité est la règle en principe, il n’en demeure pas moins qu’elle est tributaire de l’administration fédérale. Cela signifie qu’elle peut en tout temps opter pour pratique restrictive et opaque en exigeant un émolument qui est par la force des choses prohibitif et un frein à la transparence. Qui plus est, la procédure de consultation a montré qu’il existe un large soutien en faveur d’une gratuité de principe. Finalement, le Conseil fédéral a lui-même proposé d’entrer en matière sur le projet, en soutenant cependant la proposition de la minorité I qui prévoit un changement de paradigme, sans plafond au sein de la LTrans.
Le refus du Conseil des États a pour conséquence que le projet est renvoyé au Conseil national pour y être traité à nouveau. Le sort du projet paraît donc incertain. En effet, dans le cas où le Conseil des États devait à nouveau ne pas entrer en matière sur le projet, celui-ci sera alors retiré de la liste des objets de l’Assemblée fédérale.
Proposition de citation : Livio di Tria / Kastriot Lubishtani, Du principe de l’émolument à celui de la gratuité ? Frein du Conseil des États, 16 août 2021 in www.swissprivacy.law/84
Les articles de swissprivacy.law sont publiés sous licence creative commons CC BY 4.0.