Vidéosurveillance, preuves illicites et délit de chauffard
Arrêt de la Chambre des recours pénale PE21.011866-RMG/238 du 4 avril 2022.
Dans le cadre d’une procédure pénale, des images issues d’un système de vidéosurveillance privé géré par une station-service et par un garage ont été ajoutées au dossier. L’on y voit deux co-prévenus, chacun dans son propre véhicule, arrêter le trafic et faire la course sur la voie publique. Lors de cette virée, l’un des co-prévenus perd le contrôle de son véhicule, percute un lampadaire ainsi que la voiture d’un autre usager de la route. Seuls des dégâts matériels sont à déplorer.
Le prévenu fait recours devant la Chambre des recours pénale du Tribunal cantonal vaudois contre la décision de la procureure refusant de retrancher ces images du dossier pénal. Celle-ci se prononce sur l’exploitabilité de cette preuve.
Le Tribunal cantonal rappelle la jurisprudence fédérale selon laquelle les preuves recueillies par un particulier ne sont exploitables que si (1) elles avaient pu être recueillies licitement par les autorités pénales et si (2) une pesée des intérêts en présence plaide pour exploitabilité. Ce n’est que lorsque le moyen de preuve permet d’élucider des infractions graves qu’il est exploitable.
Les preuves collectées en violation de la LPD sont illicites. En l’espèce, les caméras de surveillance privées filment non seulement le terrain privé de la station-service, mais également une large partie de la route, qui fait partie du domaine public. Or, selon un aide-mémoire du PFPDT, il n’est pas possible pour les privés d’effectuer une vidéosurveillance du domaine public pour une finalité privée. Cela cause une atteinte illicite à la personnalité d’un nombre indéterminé de personnes et ne se justifie donc pas. Une exception existe toutefois si la portion du domaine public filmée est petite. Ce n’est néanmoins pas le cas en l’espèce. Pour cette raison, le Tribunal cantonal qualifie les images tirées de la vidéosurveillance comme illicites.
En l’absence de motifs justificatifs au sens de l’art. 13 LPD qui auraient permis de lever l’illicéité et ainsi de permettre l’exploitabilité de la preuve, le Tribunal cantonal examine les conditions fixées par le CPP. L’art. 141 al. 2 CPP dispose que « Les preuves qui ont été administrées d’une manière illicite ou en violation de règles de validité par les autorités pénales ne sont pas exploitables, à moins que leur exploitation soit indispensable pour élucider des infractions graves. » En l’espèce, le prévenu a été renvoyé pour violation grave qualifiée des règles de la circulation routière selon l’art. 90 al. 3 LCR (délit de chauffard), qui dispose que « [c]elui qui, par une violation intentionnelle des règles fondamentales de la circulation, accepte de courir un grand risque d’accident pouvant entraîner de graves blessures ou la mort, que ce soit en commettant des excès de vitesse particulièrement importants, […] ou en participant à des courses de vitesse illicites avec des véhicules automobiles est puni d’une peine privative de liberté d’un à quatre ans. » Le prévenu a en effet adopté un comportement dangereux en raison de sa participation à une course sur la voie publique, à une heure où le trafic est important, à une vitesse non établie, mais largement supérieure à la vitesse autorisée. Il a en outre causé un accident, dont les conséquences auraient pu être bien plus importantes, voire fatales.
Le Tribunal cantonal est ainsi d’avis qu’il s’agit « manifestement » d’une infraction grave au sens de l’art. 141 al. 2 CPP. Il estime que l’intérêt public à l’élucidation des faits l’emporte sur l’intérêt du recourant à l’administration des preuves rigoureusement conformes à la loi. Il conclut que, bien qu’illicites, les preuves sont exploitables et rejette le recours.
À notre connaissance, il s’agit du premier arrêt traitant de l’exploitation de preuves récoltées par des particuliers dans une enquête portant sur une infraction de délit de chauffard (art. 90 al. 3 LCR). Il existe des arrêts rendus par le Tribunal fédéral concernant des preuves recueillies par des particuliers, mais portant sur des infractions simples ou graves à la loi sur la circulation routière (art. 90 al. 1 et 2 LCR).
Dans l’ATF 147 IV 16 du 13 novembre 2020 et l’arrêt 6B_1188/2018 du 26 septembre 2019, le Tribunal fédéral dit que la preuve obtenue par un privé en violation de la LPD au moyen d’une caméra GoPro fixée sur le guidon d’une moto, respectivement au moyen d’une dashcam installée dans un véhicule privé, n’est pas exploitable lorsqu’il s’agit d’une procédure ouverte pour infractions simple et grave à la LCR (art. 90 al. 1 et 2 LCR) (cf. www.swissprivacy.law/41).
Nous relevons que la notion « d’infraction grave » au sens de l’art. 141 al. 2 CPP n’est pas définie par le législateur. Un auteur a établi une liste des infractions qui ont été qualifiées comme telles par le Tribunal fédéral (Poulikakos George Darvish, Die Verwertbarkeit rechtswidrig erhobener Beweise, Zurich 2021 (Zürcher Studien zum Strafrecht, no 112), p. 118 s.). On y trouve notamment le meurtre, l’assassinat, les lésions corporelles graves, le brigandage, l’escroquerie et le viol. Le délit de chauffard n’en fait pas partie.
La jurisprudence fédérale (citation de l’ATF 147 IV 16 [f.], consid. 6 ; arrêt de principe : ATF 147 IV 9 [all.] consid. 1.4.2) indique néanmoins que :
« la notion d’infraction grave au sens de l’art. 141 al. 2 CPP [doit] être examinée au regard de la gravité de l’acte concret et de l’ensemble des circonstances qui l’entourent et non abstraitement selon la peine menace de l’infraction en cause » .
En raison de la création du risque d’accident pouvant entraîner de graves blessures ou la mort, engendrée par la course sur la voie publique et réprimée par le délit de chauffard, nous suivons la conclusion du Tribunal cantonal. La preuve illicite doit pouvoir être exploitable.
Proposition de citation : Alexandre Barbey, Vidéosurveillance, preuves illicites et délit de chauffard, 30 septembre 2022 in www.swissprivacy.law/174
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