Vérifier la légalité du chalet voisin : un intérêt privé prépondérant

Arrêt du Tribunal cantonal du Valais du 18 février 2025, A1 24 219
En fait
Le 6 juillet 2022, trois sociétés copropriétaires de la parcelle n° 1 à Verbier, déposent une demande d’accès aux autorisations de construire concernant les parcelles voisines 2 et 3 auprès du Service des constructions de la commune de Verbier, fondée sur l’art. 12 de la loi valaisanne sur l’information du public, la protection des données et l’archivage (LIPDA). Les demandeurs motivent leur requête par des doutes sur la légalité des constructions érigées sur les parcelles n°2 et 3. Les copropriétaires des parcelles visées et voisins, s’opposent à cette demande en invoquant l’absence d’intérêt légitime des requérantes et la protection de leur vie privée ainsi que des droits d’auteur de leur architecte sur les plans.
Le Préposé cantonal à la protection des données recommande la transmission des dossiers de construction, après anonymisation des données personnelles. La commune accorde l’accès aux dossiers de la parcelle n°2, sans anonymisation, en invoquant leur publication antérieure lors de la mise à l’enquête. Les voisins recourent devant le Conseil d’État valaisan. Ce dernier rejette leur recours, ce dès lors que les documents officiels jouissent d’une présomption de publicité.
Les voisins saisissent alors le Tribunal cantonal du canton du Valais (TC) pour contester la décision du Conseil d’État. Ils allèguent notamment une atteinte à leurs intérêts privés prépondérants, plus particulièrement la nécessité de protéger leurs données personnelles relevant de leurs sphères privées et celles de leurs proches. Ils invoquent également le risque de voir les plans exploités par les demandeurs.
En droit
Les propriétaires voisins reprochent principalement au Conseil d’État d’avoir retenu les faits de manière inexacte ou incomplète et d’avoir, ce faisant, pris une décision en violation des art. 12 et 15 aLIPDA, version de la LIPDA applicable au litige.
L’art. 12 al. 1 aLIPDA consacre un droit d’accès aux documents officiels dans les limites de la loi. Ce droit vise à concrétiser le principe de la transparence et est applicable à toute personne physique ou morale (cf. Message accompagnant le projet de loi sur l’information du public, la protection des données et de l’archivage (LIPDA) du 20 février 2008, p. 6). L’exigence d’un intérêt particulier des demandeurs ne doit pas s’interpréter de manière restrictive, afin de ne pas rétablir le principe du secret administratif (Message, p. 7). L’intérêt particulier doit donc être admis de façon suffisamment large par les tribunaux.
L’art. 15 aLIPDA impose aux autorités une pesée des intérêts, fondée sur la présomption de publicité des documents officiels (Message, p. 8). De plus, la jurisprudence fédérale précise que la charge de la preuve pour renverser la présomption de libre accès aux documents officiels incombe à l’autorité qui doit démontrer qu’une ou plusieurs des exceptions prévues par la loi sont remplies ou dans quelle mesure elles le sont (ATF 142 II 324, consid. 3.4, cf. aussi in lawinside.ch/300/). Le refus à l’accès aux documents se justifie pour une atteinte grave et probable à la personnalité, sans que ce soit le cas par ailleurs lorsque l’atteinte est simplement concevable ou hypothétique (Arrêt du Tribunal fédéral du 23 mai 2023, 1C_322/2022, consid. 3.1).
En l’espèce, les sociétés ont déposé une demande fondée sur l’art. 12 aLIPDA pour consulter les autorisations de construire relatives aux parcelles voisines n°2 et n°3. Elles disposaient ainsi d’un intérêt particulier, à vérifier la légalité des constructions sur ces fonds voisins et de s’assurer que la commune mène à bien ses tâches d’autorité compétente en matière de police des constructions.
Le TC écarte les arguments tirés d’intérêts privés prépondérants des recourantes. En effet, les documents visés ne comprennent pas de données personnelles sensibles (cf. art. 3 al. 7 aLIPDA). Il n’y a pas non plus atteinte à la sphère privée des recourantes par la seule mention du nombre ou de l’affectation des pièces, notamment dès lors que les permis de construire ont déjà fait l’objet d’une forme de publicité lors de leur mise à l’enquête publique (art. 39 ss LC/VS, art. 24 ss et 26 al. 1 let. a OC/VS).
L’accès aux documents n’entraîne pas non plus violation du droit d’auteur des plans dressés par l’architecte, car ces documents ont été publiés lors de la procédure d’enquête publique et que celle-ci vaut comme première publication au sens du droit d’auteur. Le TC note au passage que l’architecte n’a ni allégué les caractéristiques artistiques des immeubles ni que la divulgation des plans entraînerait des distorsions du marché.
La demande n’est finalement pas abusive au sens de l’exception de l’art. 15 al. 4 aLIPDA, cet article devant être compris comme reprenant la définition de l’abus de droit du droit fédéral (cf. art. 2 CC). Les demandes abusives se basent notamment sur des motifs étrangers à la protection des données. La jurisprudence du Tribunal fédéral pose des exigences élevées pour retenir un abus de droit (cf. ATF 140 V 464 et ATF 139 V 494).
Le TC affirme ainsi l’existence d’un intérêt public et privé prépondérant en faveur de l’accès aux documents publics sollicités qui l’emporte sur l’atteinte limitée à la sphère privée des recourantes.
Appréciation
Les législations cantonales reconnaissent en principe un droit d’accès étendu aux documents de l’administration. Récemment, le Tribunal fédéral a réaffirmé cette approche en confirmant le droit d’accès à des documents permettant de calculer le rendement d’un immeuble dans le cadre d’un litige locatif (Arrêt du Tribunal fédéral 1C_132/2022 du 20 mars 2023) et à un contrat de vente d’actions conclu par les Services industriels de Genève (SIG) (Arrêt du Tribunal fédéral 1C_634/2023 du 30 septembre 2024, voir aussi swissprivacy.law/288). Dans ces deux affaires, le Tribunal fédéral a écarté les arguments invoquant des exceptions au droit d’accès, soit entre autres la protection d’intérêts financiers et patrimoniaux des entités concernées. Un bon rappel qu’il ne suffit pas d’invoquer un intérêt prépondérant s’opposant à l’accès aux documents, encore faut-il pouvoir le démontrer.
Proposition de citation : Mallorie Ashton-Lomax, Vérifier la légalité du chalet voisin : un intérêt privé prépondérant, 26 juin 2025 in www.swissprivacy.law/362

