Un droit d’accès à l’identité du dénonciateur ?
Chambre administrative de la Cour de justice genevoise, ATA/457/2022, 3 mai 2022
Suite à une dénonciation relative à des travaux en cours d’exécution sur deux immeubles, l’Office genevois du patrimoine et des sites (l’Office) contacte l’architecte responsable et lui demande d’arrêter tous travaux encore non autorisés. L’architecte conteste que les travaux ne soient pas autorisés et demande de connaître l’identité du dénonciateur. Le lendemain, l’Office informe l’architecte que les travaux sont en ordre.
Les propriétaires des immeubles saisissent ensuite l’Office afin que l’identité du dénonciateur leur soit révélée, en application du principe de transparence. Le Département compétent considère que l’intérêt public de l’État à pouvoir instruire avec les soins nécessaires une dénonciation et à veiller au respect des lois, ainsi que l’intérêt privé du dénonciateur à voir son identité préservée seraient prépondérants sur les intérêts des propriétaires.
Saisi par ces derniers, le Préposé cantonal genevois recommande au Département de transmettre aux propriétaires l’identité du dénonciateur. Suite au refus du Département de suivre cette recommandation, les propriétaires recourent devant la chambre administrative de la Cour de justice genevoise.
Selon l’art. 24 al. 1 de la loi genevoise sur l’information du public, l’accès aux documents et la protection des données personnelles (LIPAD), toute personne a accès aux documents en possession des institutions, sauf exception prévue ou réservée par la LIPAD.
Les exceptions au principe de la publicité sont mentionnées à l’art. 26 LIPAD. Sont ainsi soustraits au droit d’accès les documents à la communication desquels un intérêt public ou privé prépondérant s’oppose (art. 26 al. 1 LIPAD).
L’art. 39 al. 9 LIPAD dispose que la communication de données personnelles à une tierce personne de droit privé n’est possible, alternativement, que si une loi ou un règlement le prévoit explicitement (let. a) ou un intérêt privé digne de protection du requérant le justifie sans qu’un intérêt prépondérant des personnes concernées ne s’y oppose (let. b).
La Cour de justice a déjà reconnu que l’intérêt privé d’une personne à obtenir des données personnelles pour faire valoir ses droits en justice constituait un intérêt privé prépondérant qui l’emportait sur la protection de la sphère privée de la personne concernée (ATA/175/2019 du 26 février 2019).
Conformément à cette jurisprudence, la Cour reconnaît que les propriétaires disposent in casu d’un intérêt digne de protection. En effet, ils ont rendu vraisemblable que la dénonciation avait causé un arrêt de leur chantier, ce qui avait engendré des frais.
D’un point de vue de l’intérêt du dénonciateur, la Cour rejoint le Préposé : à lecture de la dénonciation, il n’est pas exclu que le dénonciateur ait agi par pure malveillance, c’est-à-dire dans le seul but de nuire aux intérêts des propriétaires. En effet, le ton et le contenu du courriel litigieux laissent penser à un conflit personnel entre les personnes concernées.
Concernant l’intérêt de l’État, celui-ci doit céder le pas à l’intérêt privé d’une personne à obtenir des données pour faire valoir ses droits en justice, ce d’autant plus en l’occurrence, que la pertinence de la dénonciation apparaît discutable.
Partant, la Cour de justice admet le recours et ordonne au Département de donner accès aux propriétaires au courriel de dénonciation.
Cet arrêt illustre une distinction entre le droit d’accès à ses données personnelles (art. 8 LPD ; art. 44 LIPAD ; art. 25 nLPD) et le droit d’accès aux documents officiels, fondé sur le principe de la transparence (art. 6 LTrans ; art. 24 LIPAD).
Alors que le premier ne peut précisément pas être utilisé afin d’obtenir des éléments de preuve pour une procédure (4A_277/2020, commenté in swissprivacy.law/45/), le second peut être utilisé dans ce but, comme cet arrêt l’illustre.
On peut ainsi se demander s’il est cohérent d’accepter expressément que le principe de transparence soit utilisé afin de se procurer des éléments de preuve, alors que le droit d’accès aux données personnelles ne le permet pas. En effet, dans cette hypothèse, le principe de transparence ne serait-il pas invoqué à des fins abusives ?
Tel peut à notre avis être le cas, en particulier dans l’arrêt ATA/175/2019 susmentionné, dans lequel des héritiers voulaient obtenir des documents qu’ils semblaient ne pas pouvoir obtenir dans la procédure civile intentée contre la personne visée par la demande d’accès.
Au contraire, dans l’arrêt commenté ici, les propriétaires ne semblent pas abuser de leur droit lorsqu’ils tentent d’obtenir l’identité du dénonciateur. C’est plutôt ce dernier qui semble abuser de la protection des données afin de ne pas assumer les conséquences de sa dénonciation infondée.
Tout est ainsi une question d’appréciation du motif de la demande d’accès.
Proposition de citation : Célian Hirsch, Un droit d’accès à l’identité du dénonciateur ?, 7 octobre 2022 in www.swissprivacy.law/176
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