L’accès au règlement complet des indemnités et note de frais versées aux directeurs de l’ECA
Arrêt de la CDAP du 18 juin 2019, GE.2019.0029
Le 14 novembre 2018, un administré vaudois a fait parvenir à l’Établissement d’assurance contre l’incendie et les éléments naturels du Canton de Vaud (ECA) une demande d’accès au sens de la Loi vaudoise sur l’information. Le requérant souhaitait que l’ECA lui donne accès au règlement des indemnités/notes de frais s’appliquant aux membres de la direction général, au montant global des indemnités/notes de frais de ses membres pour 2017, au relevé des valeurs immobilières avec les montants au 31 décembre 2017 ainsi qu’aux rapports complets de sondages mentionnés dans le rapport d’activité 2017 de l’ECA. Le 14 décembre 2018, cette dernière a partiellement fait suite à la demande de l’administré en lui adressant plusieurs documents.
Non-satisfait par cette première réponse, le requérant a, le 3 janvier 2019, demandé à l’ECA que lui soit également communiqué le règlement complet et le détail par personne et par rubrique des indemnités et des notes de frais versées aux directeurs de l’ECA, la liste des titres et valeurs mobilières pour chaque véhicule de placement avec l’estimation de leur valeur au 31 décembre 2018 ainsi que le rapport complet final avec fiche technique du sondage, questionnaire, répartition des réponses pour chaque question et analyse complète des résultats d’un sondage mentionné au sein du rapport d’activité de l’ECA pour l’année 2017.
L’ECA a informé le requérant, en date du 18 janvier 2019, qu’il n’était pas possible de transmettre le règlement complet, ainsi que le détail par personne et par rubrique des indemnités et notes de frais versées aux directeurs de l’ECA pour des raisons de protection des données personnelles ; l’autorité a toutefois souligné que la direction reçoit un forfait de représentation et un forfait pour les véhicules fixés en fonction du poste et des activités du directeur concerné. S’agissant des valeurs mobilières, elle a soulevé l’exception du secret commercial au sens de l’art. 16 al. 3 let. c LInfo. En outre, l’ECA a invité le requérant à venir consulter le rapport relatif au sondage dans ses locaux.
Le 1er février 2019, le requérant a recouru contre la décision de l’ECA, cette dernière ayant conclu au rejet du recours le 20 mars 2019, tout en fournissant dans le même temps des précisions sur le minimum et le maximum attribué pour le forfait véhicule, les frais de représentation, les frais de téléphone ainsi que les notes de frais et dépenses.
La CDAP est amenée à préciser sa jurisprudence relative à la LInfo, en particulier la question des limites du droit à l’information. Au préalable, la CDAP rappelle que l’ECA, compte tenu du but que lui assignent les art. 1 et 1a LAIEN, est soumis à la LInfo en tant que personne morale à laquelle le canton confie une tâche publique au sens de l’art. 2 al. 1 let. f LInfo.
La CDAP confirme en premier lieu le pouvoir d’appréciation dont a fait preuve l’ECA en refusant de communiquer le règlement complet, ainsi que le détail par personne et par rubrique des indemnités et des notes de frais pour chaque directeur, et ce en raison de la protection de la sphère privée des directeurs. Selon la CDAP, qui se réfère à sa jurisprudence GE.2018.0218 du 6 mars 2019, les membres de la direction de l’ECA ne font pas partie des personnalités publiques que la jurisprudence contraint à s’accommoder de la publication de leurs données personnelles.
La CDAP a, dans un second temps, confirmé l’opposition de l’ECA à ne pas transmettre la liste des titres et valeurs mobilières. Selon la cour, la constitution et la gestion d’un dépôt de titres nécessite un savoir-faire que le banquier partage contre rémunération en l’adaptant au profil du client ; ainsi, le contenu détaillé d’un tel portefeuille doit être considéré comme un secret commercial.
En dernier lieu, vu la possibilité aménagée par l’ECA à l’attention du requérant de consulter le rapport relatif au sondage au sein de ses locaux, la CDAP a considéré le recours comme sans objet sur ce point.
Expéditif, cet arrêt doit être lu en parallèle à l’arrêt GE.2018.0218, détaillé au sein de notre blog. Cette affaire portait en partie sur l’opportunité de transmettre un rapport d’audit non-caviardé contenant les noms et prénoms de certains membres du Conseil d’administration de Tridel SA ayant reçu des indemnités exceptionnelles, ainsi que les noms et prénoms d’autres employés, et dont les faits avaient été rapportés par la presse.
Dans cette autre affaire, la CDAP a rappelé que la transmission d’un document contenant des noms de personnes n’est pas nécessairement constitutive d’une atteinte à la sphère privée. Tel est le cas notamment lorsque les informations sont en lien avec une appréciation ou un jugement de valeur sur une personne physique ou morale, ou incluent la description du comportement d’une telle personne. Ainsi, la CDAP a considéré que la communication du rapport d’audit non-caviardé ne constituait pas une atteinte à la sphère privée des membres du Conseil d’administration de Tridel SA, ce d’autant plus que leur nom et prénom étaient accessibles par l’intermédiaire du registre du commerce. La CDAP avait toutefois souligné que la transmission du nom et du prénom d’un simple employé de Tridel SA, qui avait également bénéficié de primes, relevait ici de la protection de sa sphère privée se devant d’être protégée au vu des art. 328 et 328b CO.
Cet arrêt nous surprend et nous paraît contrevenir au principe de la transparence. En effet, l’ECA occupe dans le canton de Vaud une position particulière, puisque chaque bâtiment construit ou en construction sur le territoire ainsi que tous les biens mobiliers sont obligatoirement soumis, auprès de l’ECA, à l’assurance contre l’incendie et les éléments naturels. Ensuite, car quand bien même les membres de la direction sont au bénéfice d’un contrat de travail, ils ne sont pas de simples employés puisque ceux-ci sont notamment nommés par le conseil d’administration, lui-même nommé par le Conseil d’État vaudois. Il n’y a selon nous guère de justification à traiter différemment les membres de la Direction générale, ce d’autant plus que les noms et les prénoms de ceux-ci sont librement accessibles par le biais d’une simple recherche sur le moteur de recherche vaudois du registre du commerce, voire plus simplement sur le site web de l’ECA.
Proposition de citation : Livio di Tria, L’accès au règlement complet des indemnités et note de frais versées aux directeurs de l’ECA, 26 septembre 2020 in www.swissprivacy.law/8
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