La transparence face à l’opacité du calcul des primes d’assurance-maladie
Recommandation PFPDT du 14 juillet 2021, Vincent Maitre et Olivier Feller c. OFSP
I. En fait
Le 8 décembre 2020, les Conseillers nationaux Maitre et Feller exercent un droit d’accès aux documents officiels (art. 6 LTrans) auprès de l’Office fédéral de la santé publique (OFSP) portant sur 1) le contrat de livraison de données entre SASIS SA et l’OFSP, y compris la rémunération, et 2) les hypothèses et prévisions retenues par les assureurs-maladie pour fixer les primes 2019, 2020 et 2021, étant entendu que l’OFSP vérifie la plausibilité et la légalité desdites hypothèses et prévisions. SASIS SA est une entreprise liée à l’OFSP par un contrat de livraison de données récoltée auprès de tous assureurs-maladie.
Faisant droit à la demande concernant le premier document sous réserve des données personnelles qui ne sont pas communiquées, l’OFSP refuse la seconde au motif du volume extraordinairement important d’informations requises et des secrets d’affaires des assureurs concernés (art. 7 al. 1 let. g LTrans). Les demandeurs contestent la décision de l’OFSP sur ce dernier point en déposant une demande de médiation devant le PFPDT (art. 13 LTrans).
Au terme d’une séance de médiation qui n’aboutit pas, les demandeurs précisent leur demande, en indiquant vouloir obtenir des informations sur la surveillance de l’OFSP vis-à-vis des assureurs, et non sur ces derniers. Leur demande vise ainsi l’obtention des éléments factuels et conjoncturels permettant à l’OFSP d’évaluer leurs hypothèses et prévisions et, ainsi, avaliser les primes. Le PFPDT rend ensuite une recommandation au sens de l’art. 14 LTrans le 14 juillet 2021
II. En droit
En se référant à la jurisprudence, le PFPDT rappelle que toute personne exerçant le droit à l’accès aux documents officiels peut, en tout temps, restreindre ou préciser l’objet de la procédure de médiation par rapport à la demande d’accès. À cet égard, il constate que l’objet de la demande était très vaste, mais qu’il a été restreint dans ce cadre par les demandeurs. Dès lors, la procédure ne porte désormais plus que sur les informations requises lors de la séance de médiation.
Pour traiter de la demande qui ne porte pas sur un document précis, le PFPDT se réfère à la définition du « document officiel » découlant de l’art. 5 al. 1 LTrans, aux termes duquel il s’agit d’une « information », détenue par une autorité, car elle émane de cette dernière ou car elle lui a été communiquée, (let. b) qui doit en outre concerner l’accomplissement d’une tâche publique (et. c) et, préalablement à la demande, avoir « été enregistré[e] sur un quelconque support » (al. 1 let. a).
Ni la demande d’accès ni la procédure à ce stade ne porte sur un document précis. Tout au plus les demandeurs se sont-ils référés à l’avis du Conseil fédéral au sujet de la motion 20.4199 et selon lequel l’OFSP exerce une surveillance en vérifiant la « plausibilité » des hypothèses et des prévisions des assureurs.
Le PFPDT interprète alors l’art. 5 al. 1 LTrans en ce sens que le document officiel requis par la demande d’accès doit, d’une part, avoir « un contenu informationnel » et, d’autre part, « évidemment déjà exister ». De ce fait, le principe de transparence ne saurait contraindre l’administration à créer un document qui n’existe pas et, corollairement, le droit d’accès ne saurait porter sur un tel objet. Un particulier ne peut donc pas exiger de l’administration qu’elle établisse une note de synthèse sur un sujet donné (FF 2003 1807, 1834). À la lumière de l’art. 5 al. 2 LTrans, une exception est admise pour les documents qui « n’existent que virtuellement » et pouvant être « aisément obtenus » par une manipulation informatique « simple » sur la base d’« informations enregistrées satisfaisant aux conditions énoncées à l’al. 1, let. b et c ».
En vertu de l’art. 3 al. 1 OTrans, l’autorité est en particulier tenue d’assister tout demandeur dans ses démarches. Pour ce faire, elle peut lui remettre « un extrait [du] gestionnaire électronique de documents » ou une liste des documents disponibles, afin de permettre que l’objet de la demande soit précisé (OFJ, FAQ Mise en œuvre de la transparence dans l’administration fédérale, 7.8.2013, 34 s.).
Au vu de ce qui précède, le PFPDT recommande à l’OFSP de déterminer s’il existe des documents répondant à la demande d’accès telle que précisée par les recourants, de les identifier et, le cas échéant, d’accorder au recourant l’accès à ceux-ci. L’accès octroyé tient compte des dispositions pertinentes de la LTrans et du principe de proportionnalité.
Si de tels documents devaient ne pas exister, l’OFSP devrait également déterminer si un document physique pourrait être généré au biais d’un traitement informatisé simple.
III. Commentaire
Cette recommandation n’est que la première étape de ce qui s’annonce être un long bras de fer. D’une part, l’OFSP a d’emblée opposé une résistance de principe sans traiter le fond de la demande et les exceptions pouvant découler de l’art. 7 LTrans. D’autre part, les deux demandeurs et politiciens font de la transparence des primes un cheval de bataille politique (pour le Conseiller national Maitre, voir : interpellations 20.4013 et 21.3070 et motion 21.3779 ; pour le Conseiller national Feller, voir : motions 20.4199 et 21.3780, interpellations 21.3071 et 21.3782 et question 1.7875).
L’opacité du calcul des primes est pointée du doigt année après année, provoque l’incompréhension et sème le doute au sein de la population en ce qui concerne le bon fonctionnement de l’assurance-maladie obligatoire. Les coûts de la santé représentent d’ailleurs l’une des premières préoccupations des Suisses. La volonté de renforcer la transparence en la matière apparaît aujourd’hui plus que jamais vitale.
Si une demande d’accès dans le cadre de la présente affaire ne devait pas aboutir et ne pas permettre de faire la lumière sur les bases essentielles déterminant le coût des primes, alors une action politique prenant la forme d’une modification législative devrait sérieusement être envisagée.
Trois points méritent d’être soulevés au regard de la présente recommandation dont le résultat doit être approuvé.
Premièrement, la recommandation a pour conséquence pratique d’obliger toute autorité saisie d’une demande d’accès à des documents officiels susceptible de porter sur de très nombreux documents d’identifier s’il existe des documents permettant de répondre à la demande. De façon bienvenue au regard du principe de la transparence, l’administration ne saurait en effet rejeter une demande vaste pour ce motif, un émolument pouvant être perçu si la demande occasionne des frais (art. 17 LTrans cum Annexe 1 OTrans). Comme le rappelle le PFPDT, elle est tenue à une obligation d’assistance (art. 3 al. 1 OTrans). Lorsque le demandeur soupçonne l’existence de documents que l’administration conteste, le PFPDT, respectivement l’autorité de recours saisie, est également tenu de prendre les mesures d’instruction nécessaires, sans se limiter à prendre acte de la déclaration de l’administration, pour « mettre en balance la vraisemblance et le sérieux des allégations du demandeur et de l’administration » (FF 2003 1807, 1835).
Deuxièmement, dans son dispositif, le PFPDT a recommandé l’accès aux documents, par hypothèse identifiés par l’OFSP, « en tenant compte des dispositions pertinentes de la Loi sur la transparence et du principe de la proportionnalité ». Cela signifie-t-il un octroi aux documents sans préjudice des exceptions de l’art. 7 LTrans qui pourraient encore être invoquées par l’OFSP ? Tel ne peut être le cas à la lumière de la jurisprudence du Tribunal administratif fédéral et des principes interprétatifs qu’il a dégagés pour les recommandations du Préposé (cf. arrêt TAF A‑3215/2020 du 7.12.2020, commenté in : swissprivacy.law/52). Ainsi, l’OFSP est tenue d’accorder l’accès aux documents officiels identifiés, cas échéant en anonymisant les données personnelles qui y figurent et, s’il souhaite soulever l’une des exceptions de l’art. 7 LTrans, il doit rendre une décision au sens de l’art. 15 al. 2 LTrans sujette à recours devant le Tribunal administratif fédéral.
Dernièrement, au regard de l’exception mentionnée par le PFPDT pour le document officiel qui n’existerait pas, celui-ci a indéniablement à l’esprit le « document physique » par opposition au « document virtuel ». Cela étant, il nous semble que cette exception n’est pas unique, car il faudrait également réserver les situations dans lesquelles l’administration est tenue de par la loi d’élaborer un document officiel, mais ne l’a pas fait. Dans ce cas, la demande d’accès doit être satisfaite et l’autorité exécuter son obligation légale en établissant ledit document.
Proposition de citation : Kastriot Lubishtani / Livio di Tria, La transparence face à l’opacité du calcul des primes d’assurance-maladie, 29 septembre 2021 in www.swissprivacy.law/92
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