Transparence à géométrie variable : le malaise vaudois

Les commissions de surveillance du Grand Conseil vaudois n’en peuvent-elles plus d’apprendre dans les journaux ce qu’on leur cache en salle de commission ? C’est ce qui semble ressortir d’une motion déposée par le Député vaudois Kilian Duggan et consorts au nom de la Commission des finances et de la Commission de gestion, adoptée à l’unanimité et transmise directement au Conseil d’État.
Le texte dénonce une situation où certaines informations, notamment en matière fiscale, sont transmises aux médias sur la base de la Loi vaudoise sur l’information (LInfo), alors que les organes parlementaires n’en ont jamais eu connaissance. Pour les auteurs de la motion, cette « asymétrie » sape la légitimité du contrôle démocratique : les élus qui surveillent l’État ne devraient pas être informés après coup, par voie de presse.
La motion exige donc une adaptation de la LInfo pour que les commissions concernées soient automatiquement mises au courant des demandes formulées et reçoivent à tout le moins les mêmes documents que ceux transmis au public.
Selon nous, il faut saluer l’esprit de la motion qui traduit une volonté claire de renforcer les mécanismes de contrôle démocratique. Toutefois, le choix de modifier la LInfo soulève une réserve importante.
À cet effet, il convient de rappeler que la LInfo consacre un droit à l’information pour l’ensemble des citoyens. En la modifiant pour créer un droit spécifique en faveur des commissions, on prend le risque de dénaturer une législation dont la portée universelle constitue précisément sa force. Or, il ne s’agit pas ici de renforcer le principe de la transparence, mais des instruments des organes parlementaires. C’est pourquoi il serait plus cohérent, aussi bien d’un point de vue politique que juridique et légistique, de canaliser cette volonté politique à travers des modifications ciblées de la réglementation parlementaire encadrant les relations entre l’administration cantonale vaudoise et les organes de surveillance parlementaire.
Cela étant, cette motion constitue une occasion précieuse permettant d’enclencher une réflexion plus profonde sur la transparence dans le canton de Vaud. Elle offre en effet un levier pour engager une révision de la LInfo, orientée vers une mise en œuvre intelligente du principe dit « d’égalité en matière d’accès » qui implique qu’un document officiel transmis à une personne devienne, de facto, accessible à tout un chacun.
Pour passer du principe à la pratique, l’administration cantonale vaudoise devrait pouvoir s’appuyer sur des instruments concrets. Une base de données centralisée constitue, à ce titre, une option particulièrement intéressante. L’administration cantonale vaudoise pourrait ainsi tenir à disposition une base de données publique recensant l’ensemble des documents officiels effectivement communiqués. Ce système offrirait une transparence proactive, réduirait les traitements différenciés et la soulagerait en évitant qu’elle ne doive traiter de demandes répétées. Des exemples existent déjà : l’Office fédéral de l’armement (armasuisse), par exemple, publie systématiquement en ligne les documents transmis dans le cadre de la LTrans. Le Conseil fédéral avait certes envisagé un dispositif analogue à l’échelle de l’administration fédérale, avant d’y renoncer, invoquant les ressources et les coûts élevés qu’un tel répertoire centralisé représenterait (cf. www.swissprivacy.law/114). Cet argument, toutefois, dissimule mal un manque de volonté politique. À l’échelle de l’Union européenne, la Commission européenne démontre en effet qu’un tel système est non seulement envisageable, mais déjà opérationnel.
Cette logique de répertoire central rejoint d’ailleurs une obligation déjà inscrite, du moins en théorie, dans le droit vaudois. L’art. 13 RLinfo impose en effet aux services de l’administration cantonale vaudoise de tenir une liste des types de documents officiels dont ils sont auteurs ou qu’ils détiennent. Cette liste doit en principe être publique, ce qui s’inscrit dans une approche de transparence proactive. Le principal obstacle réside toutefois dans la complexité de l’exercice : la notion de document officiel est particulièrement large, ce qui rend difficiles la construction et la mise à jour d’une liste exhaustive et exploitable. À notre connaissance, et sauf erreur, il n’est d’ailleurs pas établi que cette obligation soit effectivement mise en œuvre de manière systématique par les services de l’administration cantonale vaudoise. Et pour cause, une telle obligation, en l’état, apparaît largement déconnectée des réalités administratives et bien plus énergivore en termes de ressources qu’un répertoire central fondé sur les documents transmis.
Une piste pour concrétiser cette idée consisterait à modifier l’obligation prévue la réglementation pour imposer aux services de l’administration cantonale vaudoise de signaler au Préposé vaudois à l’information chaque document officiel transmis. Ce type de dispositif existe déjà dans d’autres domaines, notamment en matière de protection des données, où la Préposée vaudoise à la protection des données doit être informée de la création de nouveaux fichiers (art. 20 al. 1 LPrD) ou recevoir copie de certaines décisions (art. 22a al. 2 LPrD). Il appartiendrait alors au Préposé de publier ces documents sur une plateforme en ligne et d’en assurer la mise à jour, idéalement par une procédure automatisée. Un tel système existe déjà dans le canton : la Préposée vaudoise à la protection des données tient à jour la liste publique des installations de caméras de vidéoprotection, sur la base des décisions qu’elle reçoit. Rien ne s’oppose à ce que la même logique soit appliquée à la transparence.
Le Conseil d’État dispose aujourd’hui d’une réelle opportunité : non seulement répondre à la motion adoptée à l’unanimité par le Grand Conseil vaudois, mais surtout en faire le point de départ d’une réflexion plus large sur la transparence dans le canton de Vaud. Ce débat ne doit pas, selon nous, se limiter à l’accès de certaines institutions à certaines informations, mais s’inscrire dans une démarche plus systémique, fondée sur des mécanismes de diffusion proactive, centralisée et cohérente. Plus largement, il est regrettable que le débat sur la transparence dans le canton de Vaud se déroule aujourd’hui sans élément concret pour en évaluer son fonctionnement. L’Autorité vaudoise de protection des données et de droit à l’information n’a, en effet, plus publié de rapport d’activité depuis 2022, ce qui limite aussi la visibilité sur l’évolution des pratiques et des éventuelles difficultés rencontrées. Cette absence prive aujourd’hui le législateur d’un outil indispensable pour mener à bien une révision adaptée aux réalités du terrain.
Proposition de citation : Livio di Tria / Kastriot Lubishtani, Transparence à géométrie variable : le malaise vaudois, 23 mai 2025 in www.swissprivacy.law/354

