Jeu, set et match : tour d’horizon des récentes avancées législatives
Ordonnance sur les rapports de travail du chef du Préposé fédéral à la protection des données
Le 2 février 2022, la Commission des institutions politiques du Conseil national (CIP‑N) a publié son projet d’Ordonnance sur les rapports de travail du chef du Préposé fédéral à la protection des données et à la transparence (cf. www.swissprivacy.law/122). Pour rappel, cette ordonnance est nécessaire dans la mesure où l’Assemblée fédérale va devenir l’organe compétent pour élire le préposé lors de l’entrée en vigueur de la nLPD. Le Conseil fédéral annonçait quant à lui le 16 février 2022 soutenir le projet de la CIP‑N, recommandant toutefois à l’Assemblée fédérale de prévoir une indemnité de départ pour le préposé (cf. www.swissprivacy.law/128).
Aussi bien le Conseil national que le Conseil des États, respectivement lors des sessions parlementaires de printemps et d’été 2022, ont eu l’occasion de se prononcer sur le projet d’Ordonnance. Celui-ci a été adopté par l’Assemblée fédérale le 17 juin 2022 sans discussion (FF 2022 1571). Sur la question de l’indemnité du préposé, la proposition du Conseil fédéral a été suivie. L’Ordonnance entrera en vigueur en même temps que les modifications apportées à la nLPD.
Révision de la nLPD
Lors des travaux parlementaires, la CIP‑N a constaté que certains compléments devaient être apportés à la nLPD. Minimes, ces compléments portent sur la prévoyance professionnelle et la récusation du préposé, sur la possibilité pour la Commission judiciaire d’adresser un avertissement au préposé et sur les rapports de travail du préposé.
Là aussi, le Conseil national et le Conseil des États ont eu l’occasion de se prononcer sur les modifications proposées par la CIP‑N sans que cela ne provoque de débat. Les modifications apportées à la nLPD ont été acceptées par l’Assemblée fédérale le 17 juin 2022 (FF 2022 1561). Il est à souligner que les modifications apportées à la nLPD pourraient faire l’objet d’un référendum facultatif. Le délai référendaire échoit le 6 octobre 2022.
Ordonnances d’exécution de la nLPD
En vue de l’entrée en vigueur de la nLPD, l’Ordonnance fédérale sur la protection des données et l’Ordonnance fédérale sur les certifications en matière de protection des données doivent être adaptées. Le Conseil fédéral a ouvert le 23 juin 2021 une procédure de consultation en ce qui concerne l’Ordonnance fédérale sur la protection des données (cf. www.swissprivacy.law/81), celle-ci ayant aboutie depuis lors.
Le projet de l’Office fédéral de la justice et police (OFJ) a fait l’objet de vives critiques (cf. les différentes prises de position des cantons, des partis politiques et des organisations : https://www.bj.admin.ch/bj/fr/home/staat/gesetzgebung/datenschutzstaerkung.html). swissprivacy avait d’ailleurs participé à cette procédure de consultation en prenant publiquement position (cf. www.swissprivacy.law/93).
Depuis la clôture de la consultation en date du 14 octobre 2021, les autorités n’ont communiqué aucune information sur l’avancée des révisions des deux ordonnances. Nous nous attendons cependant à avoir des nouvelles dans le courant de cet été.
Entrée en vigueur de la nLPD
Si le Conseil fédéral n’a pas encore officiellement communiqué la date d’entrée en vigueur de la nLPD, l’OFJ précise sur son site web qu’il est prévu que le nouveau droit de la protection des données entre en vigueur le 1er septembre 2023 (cf. https://www.bj.admin.ch/bj/fr/home/staat/gesetzgebung/datenschutzstaerkung.html).
Conformément au communiqué de presse relatif à l’ouverture de la consultation concernant la révision de l’ordonnance sur la protection des données, nous soulignons que l’OFJ tablait initialement sur une entrée en vigueur de la nLPD au deuxième semestre 2022 (cf. https://www.bj.admin.ch/bj/fr/home/aktuell/mm.msg-id-84103.html). Ce retard s’explique en raison des vives critiques liées aux projets d’ordonnances de la LPD, ainsi qu’au projet d’ordonnance relatif aux rapports de travail du PFPDT.
Projet de Loi fédérale sur le traitement des données relatives aux passagers aériens pour la lutte contre les infractions terroristes et les autres infractions pénales graves (P‑LDPa)
Le Conseil fédéral a communiqué le 13 avril 2022 sur l’ouverture de la consultation relative à son P‑LDPa qui prend fin le 31 juillet 2022. Le P‑LDPa vise à autoriser la Suisse à traiter systématiquement les données relatives aux passagers aériens (données PNR) pour que les autorités fédérales et cantonales pour prévenir la commission d’attentats terroristes et d’autres infractions pénales graves et mener des enquêtes et des poursuites en la matière. Le P‑LDPa est directement basé sur la Directive (UE) 2016/681 relative à l’utilisation des données des dossiers passagers (PNR) pour la prévention et la détection des infractions terroristes et des formes graves de criminalité, ainsi que pour les enquêtes et les poursuites en la matière.
Les données PNR, pour Passenger Name Record, comprennent notamment le prénom, le nom, l’adresse, le numéro de téléphone et les modes de paiement des passagers aériens. Les compagnies aériennes qui desservent l’Union européenne, les États-Unis ou le Canada depuis la Suisse doivent transmettre ces données au pays de destination.
Au niveau international, 62 pays, dont tous les États membres de l’Union européenne, ont mis en place un service chargé d’évaluer ces données pour lutter contre le terrorisme et la grande criminalité. La Suisse ne peut pas les utiliser elle-même, car elle ne dispose d’aucune base légale. Le P‑LDPa vise à remédier à cette situation, en faisant de fedpol l’unité nationale chargée du traitement des données relatives aux passagers aériens, soit l’Unité d’information passagers).
Ancrage de la gratuité au sein de la LTrans
Le changement de paradigme dans la transparence de l’administration par la consécration du principe de gratuité fait toujours l’objet de discussions parlementaires. Pour mémoire, le Conseil des États a finalement accepté en début d’année d’entrer en matière sur un projet de révision de la Loi sur la transparence et en particulier de son actuel art. 17 pour être remplacé par l’art. 17 P‑LTrans. Ce dernier prévoit le principe de la gratuité et un émolument de CHF 2’000.- en présence d’un « surcroît important de travail » (https://swissprivacy.law/113/).
Depuis que les deux chambres sont acquises au principe de la révision et de la gratuité, la seule pierre d’achoppement qui subsiste réside dans la définition ou non dans la loi du montant de l’émolument lorsqu’il est dérogé à la gratuité.
Plus restrictif, le Conseil des États a considéré au mois de mars dernier que le plafond de CHF 2’000.- n’est pas adéquat eu égard au fait que des demandes de transparence peuvent occasionner des frais supérieurs. C’est pourquoi il a décidé de le supprimer et de déléguer la compétence de légiférer en la matière au Conseil fédéral pour prévoir un émolument proportionné à la charge de travail occasionnée et donc supérieur à la somme précitée (BO 2022 E 88). Le 15 juin dernier, le Conseil national a maintenu le plafond précité pour exclure qu’un émolument, par hypothèse plus élevé, puisse dans certains cas équivaloir à une restriction au droit d’accès (BO 2022 N). Affaire à suivre à la prochaine session paralementaire.
29e Rapport d’activités 2021/2022 du PFPDT
Le PFPDT a publié le 28 juin 2022 son 29e rapport d’activités couvrant la période du 1er avril 2021 au 31 mai 2022. Le PFPDT constate – de manière inquiétante – la généralisation de l’indifférence pour la protection des données des citoyens et que la sphère privée est une notion de plus en plus dévaluée. Cela a notamment été remarqué dans le cadre de la pandémie de COVID-19, mais également par l’accumulation de défaillances dans le traitement de données sensibles par certaines plateformes de santé.
Parmi les informations les plus intéressantes du rapport, nous constatons que le PFPDT envisage, à l’instar des autorités de protection des données européennes, de développer une « jurisprudence concernant l’externalisation par les autorités de traitements de données personnelles, notamment à des fournisseurs américains de services en nuage public » (p. 66 du rapport). Le PFPDT fait référence ici à sa prise de position du 13 mai 2022 vis-à-vis de la Suva, dans laquelle il lui suggère de réexaminer l’externalisation des données personnelles vers un cloud exploité par le groupe américain Microsoft. Nous constatons également que le rapport de la Commission européenne sur l’adéquation du niveau de protection des données en Suisse a pris du retard. Le PFPDT espère à ce titre que la Commission européenne publiera les rapports d’adéquation de tous les États considérés comme adéquats d’ici fin 2022 (p. 11 du rapport).
Du côté de la transparence au sein de l’administration, il est à noter que les autorités fédérales ont reçu 1’385 demandes d’accès à des documents officiels, ce qui représente une augmentation de 16% par rapport à l’année 2020. Parmi ces demandes, 336 étaient en rapport avec le coronavirus. Dans 694 cas (50%), les autorités ont accordé un accès intégral (contre 610, soit 51% en 2020), tandis que dans 324 cas (23%), un accès limité ou différé aux documents a été autorisé (année précédente : 293 demandes, soit 25%). Dans 126 cas (9%), l’accès a été totalement refusé (contre 108, soit 9% en 2020). Seules 19 des 1’385 demandes d’accès déposées ont donné lieu à la perception d’un émolument.
Mis en consultation de l’avant-projet de Loi fédérale sur l’identité électronique et autres moyens de preuve électroniques
Le 7 mars 2021, la Loi fédérale du 27 septembre 2019 sur les services d’identification électronique (FF 2019 6227) a été rejetée par le peuple suisse (cf. www.swissprivacy.law/25).
Conscient de l’importance de fournir un moyen d’identification électronique, le Conseil fédéral a pris en considération les craintes de la population suisse et souhaite développer un moyen d’identification électronique reconnu par l’État. Pour ce faire, le Conseil fédéral a mis en consultation le 29 juin 2022 son avant-projet Loi fédérale sur l’identité électronique et autres moyens de preuve électroniques. La consultation court jusqu’au 20 octobre 2022.
Avant-projet de Loi fédérale sur la plateforme de communication électronique dans le domaine judiciaire
Le 29 juin 2022, le Conseil fédéral a pris acte des résultats de la consultation concernant l’avant-projet de Loi fédérale sur la plateforme de communication électronique dans le domaine judiciaire, qui vise à mettre en place une plateforme centrale pour permettre aux parties à une procédure judiciaire d’échanger des données avec les tribunaux, les ministères publics et les autorités d’exécution. Il a chargé le Département fédéral de justice et police de préparer d’ici à fin 2022 un message et un projet de loi à l’intention de l’Assemblée fédérale.
Mise en consultation de l’avant-projet de loi modifiant la Loi genevoise sur l’information du public, l’accès aux documents et la protection des données personnelles (LIPAD)
Afin de mettre la LIPAD en conformité avec le droit supérieur, le Conseil d’État genevois a mis en consultation un avant-projet de loi modifiant la LIPAD. Cette révision devrait permettre à la LIPAD d’obtenir un niveau de protection adéquat au sens du RGPD. La consultation est ouverte jusqu’au 17 octobre 2022.
La protection des données dans l’Administration cantonale vaudoise
Courant 2021, la Cour des comptes du canton de Vaud a procédé à un audit de l’application de la Loi vaudoise du 11 septembre sur la protection des données personnelles (LPrD) au sein de l’Administration cantonale vaudoise. La Cour des comptes du canton de Vaud a publié ses constatations au sein de son rapport d’audit.
L’application de la LPrD a été examinée par la Cour des comptes au sein de huit entités-métiers traitant des données administratives, médicales, en lien avec l’enseignement ou avec des mesures d’aide sociale. Les lacunes suivantes – parfois importantes de l’aveu même de la Cour des comptes – ont été constatées : (i) peu d’entités ont procédé à une identification exhaustive des données personnelles traitées, (ii) aucune entité n’a effectué une analyse complète en regard des exigences de la LPrD et n’a adopté de stratégie adaptée à son activité, (iii) les clauses contractuelles en cas de sous-traitance sont insuffisantes, (iv) la gestion des accès aux applications est insuffisante, (v) l’envoi par messagerie électronique de fichiers contenant des données sensibles n’est pas sécurisé de manière adéquate et (vi) la conservation des données n’a que rarement fait l’objet de réflexions.
Face à ce constat, la Cour des comptes estime qu’il est temps que l’entier de l’Administration cantonale vaudoise s’implique dans la mise en œuvre de la LPrD afin de garantir efficacement la protection des données personnelles des citoyennes et des citoyens. Elle a formulé à cet égard 20 recommandations, dont 13 visent l’amélioration des conditions-cadres et 7 visent à combler les lacunes. Parmi ces recommandations, la Cour des comptes souhaiterait que le Conseil d’État vaudois, lors de la révision de la LPrD, institue un délégué à la protection des données dans chaque entité de l’Administration cantonale vaudoise.
Projet de Loi vaudoise sur la protection des données dans le cadre de l’application de l’acquis de Schengen dans le domaine pénal (P‑LPrDS)
Lors de sa séance du 6 juillet 2022, le Conseil d’État vaudois a présenté son projet de Loi vaudoise sur la protection des données dans le cadre de l’application de l’acquis de Schengen dans le domaine pénal, accompagné de l’exposé des motifs.
Le P‑LPrDS a pour but de permettre au canton de Vaud, à l’instar du choix opéré par la Confédération avec la Loi fédérale du 28 septembre 2018 sur la protection des données personnelles dans le cadre de l’application de l’acquis de Schengen dans le domaine pénal (LPDS), d’être le plus rapidement possible conforme aux exigences des accords de Schengen, puis d’assurer spécifiquement le suivi des évaluations régulières liées à ces accords. Le choix du Conseil d’État vaudois est le même que celui de l’Assemblée fédérale lorsqu’elle avait décidé de scinder en deux la révision de la LPD (cf. https://swissprivacy.law/11/). Il est à noterqu’une révision générale de la LPrD est prévue.
De manière générale, le P‑LPrDS transpose sur le plan cantonal certaines obligations contenues au sein de la LPDS, à savoir l’ajout des données génétiques et biométriques en tant que données sensibles et de la notion de profilage et de décision individuelle automatisée, la reprise des obligations de protection des données par défaut et dès la conception, l’obligation pour les autorités soumises au P‑LPrDS d’établir un registre des activités de traitement, de réaliser une analyse d’impact dans certaines circonstances et de consulter la Préposée vaudoise, d’annoncer les violations de la protection des données à la Préposée, de désigner un conseiller à la protection des données, ainsi que la modification des pouvoirs d’enquête de la Préposée, la possibilité pour la Préposée de prendre des mesures administratives et l’instauration de règles spécifiques quant à l’assistance administrative intercantonale.
Le projet du Conseil d’État vaudois prévoit également des modifications au sein de la LPrD et de la Loi vaudoise du 1er décembre 1980 sur les dossiers de police judiciaire (LDPJu). Nous nous réjouissons de la suppression proposée de l’art. 3 al. 3 let. c 2e phrase LPrD qui dans sa teneur actuelle empêche, du moins en théorie, d’appliquer la LPrD aux traitements de données relatifs aux dossiers de police judiciaire. Nous regrettons cependant que le Conseil d’État vaudois ne prévoie pas la modification de la procédure atypique de droit d’accès prévu par l’art. 8a ss LDPJu qui doit être vivement critiquée (cf. https://swissprivacy.law/73/).
Postulat vaudois Yannick Maury et consorts – Pour une harmonisation des pratiques communales en matière d’accès à l’information : un beau cadeau pour les 20 ans de la Loi vaudoise du 24 septembre 2022 sur l’information (LInfo)
Le 15 mars 2022, le Député vaudois Yannick Maury et certains de ses collègues ont déposé un postulat demandant au Conseil d’État vaudois de procéder à un état des lieux exhaustif des pratiques communales en matière de mise à disposition de l’information par une collecte de données auprès de toutes les communes vaudoises et de proposer des pistes concrètes pour aider lesdites communes à harmoniser, totalement ou partiellement, leurs pratiques en matière de communication, comme l’exige la LInfo.
Parmi les propositions d’harmonisation des pratiques communales, le postulat envisage notamment la création d’une plateforme sur le site de l’État de Vaud recensant de façon harmonisée et par commune tous les documents communaux publics d’une liste minimale. Cette proposition fait écho au projet avorté du Conseil fédéral de créer un répertoire central des documents officiels (cf. https://swissprivacy.law/114/).
Proposition de citation : Livio di Tria / Kastriot Lubishtani, Jeu, set et match : tour d’horizon des récentes avancées législatives, 27 juillet 2022 in www.swissprivacy.law/161
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